Le premier jour de février est là. Le soleil est annoncé sur les massifs du Sidobre et de la Montagne Noire. Je suis dans ma maison de campagne à Bouyrols. Je suis avec ma bécane. Toutes les conditions sont réunies pour une sortie. C'est juste qu'il fait zéro degré Celsius à 9h00. 

L'arbre de la liberté à Caune-Minervois

Qu'à cela ne tienne, j'empile les couches en bas et en haut, tel un oignon d'un âge avancé... Que je revendique (l'âge avancé) d'ailleurs. Et je mets en route le « flat » pour cette balade me conduisant à travers Minervois et Cabardès. 

Itinéraire suivi: 


Je prends cette direction avec le secret espoir d'y trouver une température plus clémente en fin de matinée et pour l'après-midi. Mais d'abord, il me faut traverser le Sidobre et rejoindre la Montagne Noire. Ces noms ne résonnent-ils pas comme une promesse d'aventure extraordinaire ? 

Dès les premiers tours de roues, le ronronnement du moteur de la moto se mêle au bruissement des feuilles mortes sous les roues, créant une symphonie étrange et captivante dans l'air glacial de l'hiver plutôt que le début d'une mauvaise série B. La route sinueuse traversant le Sidobre, entre Roquecourbe, Burlats, Castres et Brassac, s'étend devant moi, un ruban de bitume bordé de rochers imposants, vestiges d'un passé géologique tumultueux. Pas de neige pour adoucir le paysage, seulement le froid mordant qui s'infiltre à travers les couches de vêtements, rappelant à chaque instant la rudesse de la saison. Je me remémore, sur ce court instant, le début de cette balade, juste avant le départ. Oui, lorsque j'évoquais les couches de l'oignon! Maintenant, j'invoque... Oui, j'invoque non pas l'app « petit bambou » mais la philosophie du « petit oignon » perdu dans la froidure de l'hiver pour entrer dans une « certaine » méditation. 

À chaque virage, les paysages se déploient comme des pages d'un livre ancien, révélant des forêts denses et des formations rocheuses sculptées par le temps et les éléments. Les arbres, dépouillés de leurs feuilles, dressent leurs branches nues vers le ciel, semblant implorer une clémence qui ne viendra pas. Les rayons pâles du soleil d'hiver filtrent à travers les nuages bas, projetant des ombres fantomatiques sur la route.

Le Sidobre et la vallée de l'Agout depuis Bouyrols

Le souffle court et la concentration aiguisée, je m'aventure plus profondément dans le cœur du Sidobre, sentant chaque vibration de la moto résonner en moi comme un écho de liberté. La nature sauvage et intemporelle de cette région impose le respect, une humilité face à la puissance tranquille des éléments. Chaque kilomètre parcouru est une victoire sur le froid et l'isolement, une affirmation de ma volonté de découvrir, de comprendre, mais aussi de m'échapper. J'emprunte un chemin rocailleux. Une piste forestière découverte l'été dernier, par hasard. Celle-ci me fera passer de Boissezon, terre du Sidobre, au joli village du Vintrou situé sur les contreforts de la Montagne Noire.

Cette fois, le sentier est un brin plus technique. Les pluies de l'automne l'ont rendu moins praticable. Les ornières sont plus profondes et la boue bien plus présente. Je ne suis pas équipé pour une sortie tout-terrain, mais tant pis, je me régale tout de même. Il faudra que je nettoie le pantalon en cuir et les bottes de ville, même si ce sont des bottes de moto. Rien de bien grave. 

Piste entre Boissezon et Le-Vintrou

Fin de chemin avant de retrouver la route

À mesure que j'approche de la Montagne Noire, les pentes se font plus abruptes, les virages plus serrés. La moto, fidèle compagne de route, glisse avec agilité sur la chaussée glacée, chaque instant requérant une attention sans faille — Vous aurez, sans aucun doute, remarqué le sens mélodramatique de cette phrase... S'il est vrai que j'ouvre l'œil, et le bon, il n'y a pas de verglas sur cette route — Le paysage change progressivement, les forêts cèdent la place à des panoramas plus larges, des vallées encaissées où le silence règne en maître. Le soleil brille maintenant, mais la chaleur est toujours absente et la température reste mordante. Il est 11h00, je m'arrête dans un bar, à Lespinassière. Le double expresso me réchauffe. Ce sont surtout les pieds qui sont ankylosés. 

En descendant, sous un ciel d'un bleu éclatant, tissé de nuages capricieux comme le fil d'une tapisserie ancienne, s'étend devant moi, le Minervois. D'abord, vaste amphithéâtre où les vignes semblent réciter des vers à chaque saison, vibrant au rythme des vendanges et des pluies d'été. Saison d'ailleurs, où chaque grappe raconte son histoire, et où les caveaux révèlent des secrets enfouis depuis des siècles. L'éclat de la garrigue, la douce odeur du thym et du romarin, tout cela aurait imprégné les mots d'une poésie sauvage et authentique. Aujourd'hui, en plein hiver, le contraste entre le bleu du ciel et la terre vierge de toutes végétations est saisissant. La poésie paraît plus douce et bien moins exubérante. J'arrive au village de Caune-Minervois.

Les berges de l'Argent-double à Caune-Minervois

L'hiver à Caunes-Minervois est une saison singulière, un moment où la lumière du soleil, aussi douce qu'un murmure, caresse les pierres anciennes et les vignes dénudées. Le village, niché au creux des collines, semble baigné dans une quiétude intemporelle, une pause entre deux mouvements de l'histoire. Le ciel, d'un bleu éclatant, se reflète dans les eaux claires de l'Argent-Double, apportant une clarté presque irréelle à ce tableau hivernal. Les ruelles pavées, désertes en cette saison, invitent à une promenade méditative, chaque pas résonnant comme une note dans une symphonie silencieuse. Les façades en pierre dorée, réchauffées par le soleil, racontent des histoires de temps révolus, de moines bénédictins et d'artisans passionnés. Ici, au cœur de l'hiver, la nature et l'architecture paraissent se fondre en une harmonie parfaite. D'ailleurs, quel plus beau symbole que les branches vierges de l'arbre de la liberté, situé au centre de cette jolie place, pourrait-il y avoir ?  

L'Arbre de la liberté au centre du village de Caune-Minervois

En sortant du bourg, les vignobles, endormis sous le soleil hivernal, se dressent fièrement, témoins d'un cycle immuable de vie et de renaissance. Les ceps noueux, sculptés par les années, s'étirent vers le ciel, comme pour saluer cette lumière bienfaitrice. De temps à autre, le chant d'un oiseau brise le silence, rappelant la promesse d'un printemps à venir. Bien sûr, pour entendre cet oiseau, il faudrait que j'arrête le « flat-twin » qui ronronne entre mes jambes. Vous me pardonnerez ces métaphores, doublées d'une antithèse.  

Au loin, derrière moi maintenant, la Montagne Noire se dessine, majestueuse et mystérieuse. La lumière dorée du soleil d'hiver illumine les pentes, créant des jeux d'ombres et de lumières qui semblent danser au rythme du vent. Ce spectacle naturel, grandiose et apaisant, m'offre une nouvelle perspective sur la beauté de cette région. 

Et devant moi, dans une illusion magnifique de les sentir presque toutes proches, il y a les Pyrénées, dont les sommets enneigés se détachent à l'horizon. 

Le vignoble du Minervois

La température a certes remonté puisqu'il fait, désormais, 10 degrés Celsius. Midi approche ! Je me mets en quête d'un lieu où me restaurer et me réchauffer. Je trouve au village de Villemoustaussou. Après déjeuner, je prends la route du retour qui passe par le Cabardès. 

Cette contrée, unie au Minervois précédent par l'histoire et le vin, est séparée par des paysages faits de vignes et de collines ondulantes. Il existe, en ces lieux, une parfaite symbiose entre l'homme et la nature, un écrin où l'aventure intérieure se mêle au frisson du voyage. 

Je continue vers le nord et entre dans les terres du Cabardès. Ici, les collines ont des contours singuliers, comme sculptées par les mains du temps. Ici, entre deux brises fraîches venues de la Montagne Noire, on perçoit les murmures des anciens chemins, ceux des pèlerins et des contrebandiers, des marchands et des poètes. Un paysage contrasté, où l'ombre des châteaux cathares projette sur le sol des histoires d'hérésie et de résistance. La lumière, intense et changeante, guide mes roues et rend chaque détour imprévisible. Entre les oliviers noueux et les cyprès élancés, les villages se dressent, gardiens de traditions et d'anecdotes transmises de génération en génération.

Chemin faisant, me voilà maintenant sur les hauteurs de Mazamet tout près du village de Hautpoul. J'ai bien envie d'y accéder par la route interdite en été. 

La route de Hautpoul


Perché sur un éperon rocheux, surplombant la vallée de l'Arnette, Hautpoul est un joyau médiéval niché dans les replis du temps. Le village semble suspendu entre ciel et terre, ses maisons de pierre serrées les unes contre les autres comme pour se protéger des vents du passé. Le chemin escarpé qui y mène serpente à travers des bois denses et mystérieux, chaque tournant révélant un peu plus de la grandeur rustique de ce lieu ancien. Au fur et à mesure de cette montée, Mazamet se découvre au loin dans le creux de la vallée. 

Cela me rappelle cette si belle randonnée faite en ces lieux, à l'hiver 2023 à la même période. Le récit en est d'ailleurs détaillé dans cette fin de semaine flamboyante en Montagne Noire


Au loin Mazamet

En pénétrant dans Hautpoul, l'histoire paraît prendre vie. Les ruelles pavées, bordées de maisons aux tuiles vieillies par les ans, racontent des récits de chevaliers et d'artisans, de batailles et de foi. L'été, l'air y est imprégné du parfum des pins et du romarin, porteurs de promesses de secrets et d'aventures. Le silence règne en maître, seulement troublé par le chant des oiseaux et le murmure du vent. Le cœur du village est dominé par l'ancienne église, un témoin silencieux des prières et des espoirs des générations passées. Les pierres, usées par le temps, portent les marques de la foi inébranlable des habitants. Ici, chaque recoin respire une certaine éternité, offrant une pause bienvenue dans le tourbillon de la vie moderne.

Les remparts de Hautpoul offrent une vue imprenable sur la vallée en contrebas, où la rivière Arnette trace son chemin sinueux parmi les collines. Le paysage, d'une beauté sauvage et indomptée, invite à la contemplation et à la rêverie. Les forêts environnantes, refuge d'une faune discrète, ajoutent une touche de mystère à ce tableau pittoresque.


Le rocher de la vierge

Je redescends par la même route, puisque les autres chemins passant dans le village sont soit impraticables en véhicule, soit interdits si on n'est pas riverain. Je retrouve la nationale. Je ne peux m'empêcher de m'arrêter sur le bas-côté, afin de prendre en photo la passerelle et le rocher de la vierge où j'étais, il y a à peine quelques minutes. 

La passerelle et le rocher de la Vierge à Hautpoul

De retour dans le Sidobre, le ciel est plus chargé. Il fait toujours aussi froid ici, bien que le thermomètre de la moto affiche 5 degrés de plus que ce matin. Cette balade de deux cents kilomètres m'aura permis de m'évader quelques heures. La sensation d'avoir fait prendre l'air à mes neurones, tout en ayant quelques frissons de plaisir, est plutôt bénéfique pour la semaine qui s'annonce.  

 
Cette sortie à moto, la première de 2025, va me permettre d'attendre le jour du départ prochain, dans des contrées plus exotiques, et ce, pour une durée tout à fait déraisonnable de presque un mois et demi. En effet, il ne faut pas que j'use mes Heidenau K60 davantage, avant les chemins marocains. 
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